Louise Glück - Extrait du recueil " A village Life"
Vivre au village
Louise Glück
Traduction de l’américain par Brigitte Allègre
A James Longenbach
Entre chien et loup
Toute la journée il trime au moulin chez son cousin
alors quand il rentre le soir, il se pose sur une chaise là toujours à cette unique
fenêtre,
observe cet unique moment de la journée, entre chien et loup.
Il devrait y en avoir davantage, pour se poser sur une chaise et rêver.
Comme dit son cousin :
vivre – ça ôte le temps de se poser.
Dans le cadre de cette fenêtre, on voit non le monde mais un bout rogné du paysage,
échantillon du monde. Les saisons passent,
Chacune visible seulement quelques heures par jour.
La verdure effacée par l’or effacé par la blancheur
____
Des choses abstraites d’où viennent d’intenses plaisirs,
comme ces figues sur la table.
Au crépuscule, le soleil se couche dans un halo rouge d’incendie entre deux peupliers.
Il se couche tard en été – parfois c’est difficile de tenir
éveillé.
Et puis tout décline.
Un instant encore le monde
est images, et puis seulement sons,
grillons, cigales.
Ou parfois parfums, effluves de citronniers, d’orangers.
Et puis le sommeil s’empare de ça aussi.
Mais c’est facile de lâcher prise comme ça, à titre d’essai
l’affaire de quelques heures.
Je desserre les doigts
je laisse tout filer.
Les images du monde, les mots,
Le friselis des feuilles dans la nuit
Le parfum des hautes herbes, du bois brûlé.
Je les laisse filer, et puis j’allume la bougie.